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  • Richard Lefrançois
  • Retraité et professeur associé (Université de Sherbrooke, Québec), Sociologue, gérontologue
  • Retraité et professeur associé (Université de Sherbrooke, Québec), Sociologue, gérontologue

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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 16:45

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par Richard Lefrançois, La Tribune, 6 novembre 2013


Dette publique frôlant les 190 milliards, chômage avoisinant le 8%, précarité d’emploi et consommation réduite des ménages, voilà autant de symptômes que le Québec piétine, menacé de retomber en récession malgré de minces signes encourageants. Défié lui aussi de toutes parts, l’État peine à préserver l’intégrité du tissu social et à tenir sa promesse de réduction des inégalités.

Vont de pair avec cette léthargie économique, l’insuffisance du revenu, l’endettement chronique et l’exclusion sociale.Il n’en fallait pas plus pour que la Régie des rentes tire la sonnette d’alarme : « Trop de Québécois se dirigent tout droit vers l'insécurité financière plutôt que vers une retraite dorée ». Voilà une déclaration qui fait injure à l’image convenue et réconfortante d’une population vieillissante prétendument à l’abri des tracas financiers.

L’épargne-retraite sert à protéger la santé financière des aînés. Or, cette importante source de revenu s’épuise en raison de la chute des rendements boursiers et des nouvelles restrictions aux régimes à prestations déterminées. On sait que pour conserver une qualité de vie satisfaisante, chaque retraité a besoin de 70 % de ses revenus de travail. Les régimes publics couvrent environ 40 % et la balance provient de l’épargne personnelle. Tout indique qu’il sera de plus en plus difficile d’atteindre l’objectif du 70% notait le rapport d’Amours. 

Étonnamment, pendant que s’érodent les revenus des aînés et que se délitent leurs conditions d’existence, le discours officiel se veut rassurant. Pour mettre ce nouvel enjeu en perspective, confrontons le point de vue de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur le revenu des aînés avec les observations émanant du terrain.


L’observation macro-économique

En juillet 2013, l’ISQ attirait notre attention sur l’évolution du revenu de 1981 à 2010, ajustée en dollars constants. Celui-ci a augmenté de 24 % chez les 55 à 64 ans, de 43 % chez les 65 à 74 ans et de 53 % chez les 75 ans et plus. Pouvons-nous inférer que le revenu des aînés s’est amélioré significativement? Transposer ces pourcentages en valeurs absolues permet d’y répondre. Dans le cas des 65-74 ans, le revenu moyen est passé de 18 100 $ à 25 800 $ en 30 ans. Considérant l’augmentation exorbitante du coût de la vie au cours de cette période (énergie, panier d’épicerie, logement), c’est un maigre accroissement du revenu qui n’a rien de très réjouissant.  

Se basant sur le revenu médian, l’ISQ constate que la proportion des Québécois à faible revenu est passée, en quelques années à peine, de 2,5 % à 10 %. On s’aperçoit que le taux de faible revenu est encore plus prononcé dans la tranche des 55-64 ans, soit 16 %. Ici encore, les valeurs absolues reflètent mieux l’ampleur du problème. On découvre alors qu’environ 200 000 Québécois de 55 ans et plus vivent carrément dans la misère !   

 2.      Une mosaïque complexe

Toute analyse du revenu ne peut faire abstraction de la structure sociodémographique complexe de la population âgée, un immense segment en forte progression. Également, on ne peut ignorer que tout au long du cycle de la vieillesse, les besoins financiers fluctuent considérablement, selon les dépenses en santé, le coût des loisirs ou le niveau d’endettement (voiture, rénovation, hypothèque). Cette diversité des besoins et dépenses est d’autant plus accentuée que la fourchette d’âge de la vieillesse s’étire en aval comme en amont, conséquence des retraites précoces et de l’allongement de l’espérance de vie. Socialement, nous devenons vieux plus tôt, tandis que biologiquement nous sommes vieux plus tard. Le sénior de 55 ans n’est-il pas perçu comme un aîné, au même titre que l’octogénaire ou le centenaire? Il n’existe donc plus de prototype de la personne âgée. Elle constitue une entité à géométrie variable!

Mesurer le faible revenu à partir de grands agrégats statistiques commande donc la plus grande prudence. Cette approche ne brosse qu’un portrait sommaire, voire équivoque, de la pauvreté, surtout en regard de la population vieillissante. C’est pourtant cette voie réductionniste que persiste à emprunter Statistique Canada, l’Institut de la statistique du Québec et plusieurs chercheurs.

 

3.      L’observation sur le terrain

Mieux placés que quiconque pour prendre le pouls des aînés et repérer les sous-groupes vulnérables, les organismes communautaires sont à l’avant-garde de la lutte contre la pauvreté. Le soutien aux sans-abri et l’aide alimentaire constituent leurs deux principaux chevaux de bataille.

La surpopulation des aînés sans-abri est un phénomène en rapide expansion, surtout dans la métropole, mais de plus en plus dans des municipalités moyennes comme Sherbrooke. L’organisme montréalais pour itinérants, PAS de la rue, constate une augmentation phénoménale de sa clientèle depuis dix ans, soit 50 %. Celle-ci est fortement composée de séniors ayant perdu leur emploi en fin de vie active et qui ne reçoivent que l’aide sociale. Plusieurs femmes âgées itinérantes perçoivent moins de 5 000 $ annuellement, alors qu’au minimum 13 000 $ est nécessaire pour échapper à la grande misère. Environ 10 % ne réclamerait pas le supplément de revenu garanti auquel elles ont droit. Au Québec, l’itinérance accapare une douzaine de concertations régionales regroupant plus de 300 organismes.

Par ailleurs, l’enquête Bilan-faim a révélé que le recours aux banques alimentaires a enregistré un bond stupéfiant de 22 % depuis trois ans. Au-delà de 1 000 organismes et 16 000 bénévoles répondent mensuellement à plus d’un million et demi de demandes d’urgence. Et on constate que les aînés sont de grands utilisateurs de l’aide alimentaire.

Les intervenants communautaires s’aperçoivent bien que les aînés défavorisés ont une santé fragile, une espérance de vie moindre et qu’ils font face à un cumul d’adversités. Effectivement, l’accès aux médicaments, aux soins dentaires et de santé se complique lorsque l’insuffisance du revenu se conjugue avec l’âge avancé, surtout chez les sans-emploi, les immigrants, les personnes vivant seules et les analphabètes.

Les ressources humaines, matérielles et financières mobilisées par les groupes populaires pour accompagner les plus démunis sont la preuve de leur acharnement à juguler le fléau de la pauvreté, en même temps qu’elles témoignent de la gravité de ce problème. Leur efficacité tient essentiellement à leur proximité avec les demandeurs d’aide et à leur capacité de mettre en chantier des pratiques innovantes, porteuses de sens et d’humanité au bénéfice des aînés démunis. 

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16 juillet 2011 6 16 /07 /juillet /2011 12:29

Par Richard Lefrançois, La Tribune, 16 juillet 2011

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L’hôpital n’a pas été dédié de tout temps aux seuls soins de santé. L’hospitalis domus désignait au XIIe siècle un établissement charitable à vocation «hôtelière» destiné à accueillir ses «hôtes», essentiellement des malades, des vieillards, des voyageurs, des pèlerins et des pauvres. En 1656, Louis XIV institua l’Hôpital général de Paris, un établissement de bienfaisance, mais aussi de coercition. En plus de soigner les démunis, ce réseau de maisons spécialisées servait au refuge, à l’enfermement et à la rééducation des prostituées, vagabonds et délinquants.

Ce n’est qu’à compter du XVIIIe siècle, avec le déclin de l’Église et le recul des mythes sur la maladie que s’affirme la médecine scientifique et que se précise le mandat universel de l’hôpital. En plus de s’occuper de l’hébergement temporaire des malades et de fournir des soins curatifs, préventifs et palliatifs, l’hôpital moderne assure l’enseignement, la formation médicale et l’encadrement de la recherche.

Or, le monde hospitalier est aujourd’hui en détresse financière, sinon à la dérive au regard de ses valeurs premières. Comment rendre raison de la périlleuse descente aux enfers d’une institution aussi vitale pour le maintien de notre santé?

Les maux de l’hôpital contemporain

Paradoxalement, malgré le cortège des réformes (virage ambulatoire, compressions, désinstitutionnalisation, fusions hospitalières, déficit zéro), notre système public de santé est toujours souffrant, constamment menotté par des dépenses faramineuses (33 milliards $ en 2011). À ce gouffre sans fond, s’ajoutent l’encombrement des urgences et les intolérables temps d'attente en chirurgie. Selon une étude du Collège des médecins et chirurgiens du Canada, seulement 39 % des Québécois présentant un problème de santé urgent ont eu accès à un médecin en moins de 24 heures. Chez ceux souffrant de troubles non urgents, à peine 11 % ont bénéficié de traitements en deçà d'une semaine. Ces irritants mettent à dure épreuve la «patience des patients».

N’est-il pas inconcevable que des aînés requérant des soins fuient l’hôpital par crainte de passer la nuit sur une civière dans un corridor? D’autres jugent même les hôpitaux «dangereux pour leur santé», comme on l’a constaté tout récemment à propos des problèmes de salubrité : malpropreté, air vicié, moisissures, vermine, équipements vétustes. Ils ont aussi en mémoire les nombreux décès survenus à la suite d’infections nosocomiales contractées lors de la pose d’un cathéter, d’une perfusion ou de l’implantation d’une prothèse. Comme si ce n’était pas suffisant, la maltraitance qui sévit toujours en milieu hospitalier a été tellement médiatisée que certains aînés redoutent d’en être un jour victimes.

Au-delà de ces inquiétudes, plusieurs usagers âgés se sentent inconfortables, stressés et désorientés dans cet environnement qui leur est étranger. Ils sont indisposés par l’atmosphère survoltée qui y règne, les contraintes imposées, les horaires forcés et le recours à des technologies intimidantes. Comment ne pas s’indigner quand l’hôpital, hormis l’exigence d’être compétente et performante (curing), s’éloigne de sa doctrine fondatrice qui est d’être accueillante et humaine (caring)?

En se drapant des oripeaux de la technologie médicale et gestionnaire, l’hôpital a engendré des effets pervers. Au lieu d’être à l’écoute du malade et de le réconforter, il s’en est distancé et l’a muselé. En dépit du dévouement exemplaire des intervenants, épuisés puisque confrontés à des exigences nombreuses dont l’alourdissement des clientèles, la dépersonnalisation des rapports sociaux de même que la déshumanisation des soins portent ombrage à la mission première de cette institution et entachent sa crédibilité.

Le gigantisme des appareils de gestion et de soins ainsi que la culture technomédicale ont finalement transformé l’hôpital en une mégastructure de prestations de services «inhospitalière» où les usagers sont non seulement des numéros, mais à certains égards des gêneurs ou des importuns. Sans surprise, un nombre accru de médecins se dirigent à regret vers la pratique privée qui offre de meilleures conditions.

Principales sources du problème

L’enlisement financier de notre système de santé tient en grande partie à la facture qui ne cesse de grimper alors que les recettes ne suivent pas la cadence. Même si l’augmentation générale des coûts dépasse à peine le taux d’inflation, ce déséquilibre des comptes crée une pression constante sur l’offre de soins. D’où le défi : comment gérer la croissance des dépenses et la décroissance des revenus tout en maintenant le cap sur la qualité des services?

La crise hospitalière qui en résulte se traduit par des débordements à l’urgence et des anomalies dans la chaîne des services. Le Collège des médecins pointe du doigt l’organisation des soins, le manque de lits et la lourdeur bureaucratique, alors que les syndicats imputent les lacunes à la pénurie de personnel, aux coûts prohibitifs des médicaments et aux technologies médicales sans cesse à renouveler. D’autres l’attribuent au surnombre des demandeurs de soins au sein de la population âgée.

Il est imprudent d'incriminer les aînés pour rendre compte de la surchauffe du système de santé. L’accroissement des coûts de santé dû au vieillissement est marginal, autour de 1 % d’après la CSQ, même si les aînés occupent 55 % des lits de soins de courte durée. De fait, la demande de soins croît à tous les âges, au rythme de la généralisation des mesures de prévention, de la médicalisation des problèmes sociaux et du comportement clientéliste des usagers.

N’empêche que l’actuelle glissade hospitalière n’est pas sans conséquence pour les aînés. Dans un document récent, Marie-Jeanne Kergoat, chef du département de médecine spécialisée à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, explique pourquoi «l’hôpital contribue au déclin de l’état de santé des aînés». Pour preuve, un court séjour hospitalier pour une légère pneumonie conduit souvent à des pertes fonctionnelles qui sont loin d’être anodines. Toute prise en charge inadaptée risque de déclencher chez le bénéficiaire la confusion mentale, l’incontinence, la réduction de ses capacités physiques et la perte de sa résilience.

Recentrer les interventions dans les unités non gériatriques suivant une approche globale serait bénéfique aux aînés. Il s’agit surtout de les hydrater suffisamment, de les faire marcher, de procéder au suivi régulier de la douleur, de sécuriser l’environnement, de respecter leur intimité et de les laisser personnaliser leur chambre.

Pour un hôpital ami des aînés

De l’aveu même du ministre Bolduc, les hôpitaux sont devenus des milieux hostiles pour les aînés, mais aussi pour tous les usagers! Toute la filière d’intervention est donc à repenser, aussi bien au regard de l’accueil, des soins, du gite que de la préparation pour un éventuel retour à domicile. Un réaménagement d’une telle envergure nécessite des passerelles souples et coordonnées entre les divers établissements du réseau, les unités de soins et les ressources humaines (professionnels, préposés, bénévoles, familles). Un cadre de référence existe déjà, soit l’approche adaptée à la personne en milieu hospitalier. Le gouvernement consacrera 300 000 $ pour le Centre universitaire de santé McGill qui deviendra le premier hôpital québécois «ami des aînés». Des initiatives nécessitant le déploiement d’outils plus performants de dépistage de la perte d'autonomie chez les patients âgés admis à l'urgence sont également en cours, notamment au Centre hospitalier affilié universitaire de Québec et de Sherbrooke.

Exaspérée par l’extrême lenteur et l’inefficacité du système public de santé, une partie de la clientèle se dirige de plus en plus, du moins pour certains services, vers les cliniques privées. Quelle ironie si l’hôpital de demain devait être réduit à soigner massivement, comme au Moyen-âge, les sans-le-sou et les grands vieillards, ceux-là mêmes qui n’ont aucune solution de rechange autre qu’un système de santé public bien mal en point!

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11 juin 2011 6 11 /06 /juin /2011 17:48

Par Richard Lefrançois, La Tribune, 11 juin 2011

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L’image convenue et obsolète de la personne âgée passive, apolitique, nostalgique et recroquevillée sur elle-même est révolue. Il en va de même des représentations stéréotypées des grands-mères de jadis perçues comme passant l’essentiel de leur temps à leurs fourneaux et à leurs tricots.

Depuis qu’a émergé la tendance au vieillissement actif, c’est-à-dire à l’engagement social sous toutes ses formes, les attributions dévolues au genre et à l’âge ont profondément changé. Certains de ces rôles peuvent surprendre tellement ils sortent de l’ordinaire, comme c’est le cas pour le militantisme gris. Ces nouveaux rôles progressistes étonnent, d’autant qu’ils sont exercés par des femmes âgées dans le contexte où la gauche contestataire au Québec bat de l’aile depuis plusieurs années.

L’activisme des femmes âgées

Qui n’a pas vu à la télé, voire aperçu dans un lieu public, un attroupement de ces grands-mères enjouées, mais paradoxalement en colère, qui brandissent des pancartes lors d’une grande manifestation tout en fredonnant des airs satiriques? Ce sont les «Mémés déchaînées», des groupuscules de femmes âgées sans attache politique partisane, ni allégeance à un mouvement bien en vue pour aînés.

On les reconnaît aisément à leurs costumes bariolés, insolites et extravagants, à leurs chapeaux fantaisistes parés de fleurs multicolores, à leur humour mordant et à leur humeur décontractée. Elles sont de toutes les causes sociales et altermondialistes, comme la paix, la justice sociale, le respect des droits de la personne, le développement durable ou la décroissance et la protection de l’environnement.

Ces militantes sont toujours prêtes à descendre dans la rue et à braver les intempéries et les moqueries éventuelles du public pour s’exprimer lors des grandes marches mondiales ou des rassemblements populaires. Elles utilisent habilement leur humour corrosif et l’ironie pour promouvoir la paix, combattre l’oppression, dénoncer les inégalités sociales ou s’attaquer aux mythes sur le vieillissement. Elles font de la sensibilisation dans des écoles, répandent leurs idées dans les regroupements de femmes et livrent leur opinion dans des débats.

Les premiers regroupements de ces femmes activistes, les «Raging Grannies», ont vu le jour en Colombie-Britannique en 1987. Depuis, ils ont tellement essaimé qu’on les retrouve partout à travers le monde. Citons l’exemple des Grand Mothers for Peace aux États-Unis et les Babas Gayas en France.

Des groupes «spécialisés» ont été lancés, comme Révolution des grands-mères en Suisse, lequel revendique plus de places en garderie. Les Abuelas de Plaza de Mayo en Argentine recherchent les enfants placés en adoption après la mort de leurs parents sous la dictature des années 70 et 80. Au Québec, d’autres formations radicales sont nées dans le sillage des Mémés déchaînées, telle la chorale Les amères Noëlles, un collectif de féministes anti-capitalistes.

Leurs chants, leurs poésies enjouées, mais surtout leur façon inédite de prendre la parole citoyenne en ont inspiré plus d’un. Clarissa Pinkola Esté leur rend un vibrant hommage dans son roman « La danse des grand-mères», tout comme le cinéaste montréalais Magnus Isacsson avec son documentaire «Les Super Mémés» réalisé en 2010. Des ateliers de réflexion aux titres évocateurs comme Ridées mais pas fanées ou Jouer avec nos personnages de femme sont offerts, tandis que des sites internet répertorient religieusement leurs chansons «subversives» ou folâtres (p. ex. http://raginggrannies.net/)

Le langage multiple de la séduction

On peut bien sûr se montrer hésitant devant l’ambition hyper-idéaliste de leur mission qui consiste à sauver la planète et à léguer un monde meilleur et merveilleux aux futures générations. Mais chose certaine, leur approche unique incite à réfléchir sur le sens de nos actions et peut-être à secouer l’indifférence ou l’apathie de bien de nos concitoyens.

La parole militante et la critique sont parfois investies d’un pouvoir énorme, comme en témoignent deux événements récents, même s’ils sont d’un autre ordre. Ainsi, sans l’action conjuguée des opposants aux dictatures dans les pays arabes et l’usage des nouveaux médias, les révoltes populaires n’auraient sans doute pas eu lieu. Sans les analyses politiques contagieuses des blogueurs et les commentaires ras-le-bol des internautes, le Québec n’aurait peut-être pas été balayé par la gigantesque vague orange de ce printemps.

Tout ceci pour dire que les groupes qui exploitent intelligemment les médias peuvent marquer des points. Les Mémés déchaînées l’ont bien compris. Elles se font d’abord remarquer à la faveur de leur tenue vestimentaire bigarrée. Elles se révèlent à notre sensibilité grâce à leurs chants joyeux et entrainants. Puis elles éveillent notre admiration par leur courage et l’audace de leurs convictions, et surtout elles touchent notre cœur en raison des causes nobles qu’elles défendent. Brandir des pancartes à 75 ans n’invite-t-il pas au respect!

Le moins que l’on puisse dire est que ces femmes, fortement engagées et qui se présentent comme des agentes de paix, secouent bien des préjugés solidement ancrés au regard du potentiel des personnes aînées. Du même coup, elles ébranlent des idées reçues sur la retraite en plus de mettre à mal le regard trop bien-pensant et archaïque, toujours présent dans certains milieux, sur le rôle et la place des femmes dans la société.

Comprendre l’engagement militant féminin

Le militantisme est une démarche d’engagement social, relativement minoritaire, dont le but est de rallier la population à une cause. On distingue le militantisme de soutien populaire, celui des manifestants occasionnels ou circonstanciels, et le militantisme structuré et permanent comme celui exercé par les représentants syndicaux ou ceux d’un parti politique.

S’agissant du militantisme de soutien, les formes d’action pragmatiste qui ont prévalu au XXe siècle se sont visiblement estompées, relayées par les nouvelles exigences de performance et d’expression de soi. En notre ère postmoderne qui prescrit l’épanouissement individuel et la solidarité des groupes restreints, l’innovation créatrice et l’originalité, on comprend déjà mieux la préférence des Mémées déchaînées pour le militantisme ludique.

Mais plus fondamentalement, cet activisme innovateur à connotation esthétique s’inscrit dans la mouvance protestataire des années 60 et du même coup des batailles menées par des groupes féministes appartenant à la génération lyrique. Il reflète, par ricochet, le niveau d’éducation accru des femmes, leur émancipation sociale, et du même coup les frustrations accumulées au fil des ans sur le marché du travail et dans le cadre familial.

Quoi qu’il en soit, les Mémés déchaînées ont certes saisi ce message adopté en septembre 2010 au Sommet sur les objectifs du Millénaire pour le développement : «Promouvoir l’égalité des sexes et l’empowerment des femmes ».

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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 22:27

Par Richard Lefrançois, La Tribune

Sherbrooke peut être fière de figurer parmi les 34 villes sélectionnées dans le monde en 2005, pour participer au projet «Villes-amies des aînés» piloté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2007, le Ministère de la Famille et des Aînés donnait à son tour le coup d’envoi à son propre programme «Municipalité amie des aînés» (MADA). L’engouement du programme est tel qu’une enveloppe budgétaire de 9 millions y est consacrée sur trois ans, ce qui permet à 112 municipalités de s'engager dans cette démarche, portant le total à 177.

Ces projets, qui font boule de neige au Québec, ne sont nullement destinés à créer de nouveaux quartiers urbains à forte concentration de retraités, à l’image d’un ghetto doré comme Sun City en Arizona avec ses quelque 48 000 personnes aînées. Ils proposent plutôt de configurer l’environnement municipal actuel pour permettre aux aînés de s’épanouir pleinement, dans l’optique de la réciprocité intergénérationnelle.

À première vue, MADA se pose tel un défi supplémentaire pour les municipalités participantes déjà confrontées à un contexte économique défavorable. Mais sa concrétisation ne peut qu’être profitable considérant l’apport inestimable des aînés pour leur famille, la collectivité et l’économie en général.

Comment devenir une ville hospitalière pour les aînés?
Les mesures concrètes susceptibles de créer un cadre chaleureux et avantageux pour les aînés englobent toutes modifications pour faciliter l’accès aux édifices publics, l’ajout d’aires pour se détendre et fraterniser, l’amélioration du transport en commun et adapté, la sécurisation permanente des lieux d’habitation et des espaces publics et la consolidation ou l’expansion des services de proximité.

Se qualifier comme ville accueillante pour les aînés requiert aussi d’être attentif aux multiples attentes de cette catégorie de citadins et d’endosser une vision élargie du vieillissement actif. Une telle adhésion passe par l’optimisation de leur participation économique, sociale, culturelle et intellectuelle dans les secteurs vitaux de l’emploi, du bénévolat, du loisir, de l’éducation continue et de l’engagement communautaire. Il importe également d’être attractif vis-à-vis des aînés de l’extérieur envisageant de s’y installer ou d'y séjourner comme touriste.

Aussi louables soient-ils, atteindre ces buts ne peut faire l’impasse sur les efforts visant l’inclusion sociale des aînés isolés ou démunis, ni sur la lutte contre l’âgisme. Voilà qui suppose que chaque citoyen soit partie prenante du projet. Sensibiliser le public au projet est une chose, mais l’incitation à la tolérance et à une culture du civisme envers la population senior représente tout un défi.

Sherbrooke a en main les principaux atouts        
Nul doute que Sherbrooke se démarque comme ville exemplaire quant aux exigences de l’OMS ou du MADA. Non seulement ses services sont-ils comparables à ceux des grandes agglomérations, mais en plus elle offre à sa population âgée (15% de ses habitants est âgé de 65 ans et plus) un cadre de vie sécuritaire, reposant et attrayant, sans les aléas de la congestion automobile, des coûts de stationnement exorbitants, du stress, du bruit excessif, de la pollution et de la criminalité élevée.

Les quelque 15 000 automobilistes aînés qui circulent sur le réseau routier estrien sont bien desservis, à l’instar de ceux qui empruntent les voies cyclables. Une ombre au tableau cependant : trop d’intersections routières ou de passages piétonniers demeurent dangereux, tandis que l’entretien des chaussées routières fait cruellement défaut.

Plusieurs initiatives prisées par les aînés témoignent de la détermination du milieu à épauler les aînés et à favoriser le rapprochement des générations. Mentionnons par exemple le Centre d’expertise en santé, Sherbrooke Ville en santé, le Off festival, l’Orford Express, les programmes AIDE (Actions interculturelles de développement et d’éducation) et PAIR (programme d’assistance individuelle aux personnes retraitées ou en perte d’autonomie) du Service de police ainsi que C.A.R.A (Centre d’activités récréatives pour aînés)

Mais là où Sherbrooke se distingue sans équivoque tient à la qualité de son environnement physique immédiat et à proximité, ses espaces verts, montagnes et plans d’eau qui invitent à la détente et agrémentent la pratique d’innombrables activités ludiques et sportives. Parmi les autres ressources, mentionnons l’Université du troisième âge, l’Institut universitaire de gériatrie, les conférences PropoSages, sans oublier les quelque trente clubs, associations et groupes d’entraide pour aînés.

Pour espérer intégrer le réseau érigé par l’OMS et décrocher le certificat de reconnaissance du Ministère de la famille et des aînés, Sherbrooke peut compter sur l’appui du milieu universitaire et d’une douzaine d’organismes et associations, notamment l’AQDR et la Table régionale de concertation des aînés de l’Estrie. La solidité et la compétence du partenariat sont des éléments primordiaux pour bien cibler les interventions devant permettre d’étendre la prestation de services et d’adapter adéquatement les infrastructures à la population vieillissante.

Souhaitons que les porteurs de ces projets soient aussi attentifs aux aspirations et besoins des citadins aînés d’aujourd’hui qu’à ceux de la prochaine génération. De leur côté, les élus municipaux et les gens d’affaires ont le devoir de soutenir le maillage d’initiatives audacieuses, crédibles et mobilisatrices, vouées au nouvel art de vivre dans l’urbanité, c’est-à-dire dans le respect de la diversité culturelle et générationnelle et dans un esprit d’ouverture et de solidarité.

L’épineuse question du logement
Le logement s’avère l’indicateur par excellence de l’attention portée aux aînés. Une ville amie des aînés a d’abord comme responsabilité d’éradiquer l’itinérance et de trouver des logements convenables à ceux dans le besoin, ce qui inclut les aînés sans domicile fixe. Elle pourrait aussi attirer les entreprises spécialisées en domotique ou dans l’habitat intelligent pour les personnes en perte d’autonomie pour y effectuer des recherches et y installer leurs quartiers.   

Mais c’est surtout le mode résidentiel qui est à repenser, sachant que les futures générations de retraités seront soucieuses de la qualité de leur cadre physique et social immédiat. Les mentalités évoluent rapidement comme en fait foi le déploiement des habitations bigénérationnelles, les appartements offrant des services intégrés et les lieux de partage comme la Maison des grands-parents. L’idée demeure séduisante d’aménager des espaces de vie domiciliaire à la fois économiques et propices aux rencontres. Parmi les expériences intéressantes, notons  les habitations coopératives et les maisons kangourous (p. ex. résidence hébergeant quelques personnes âgées et une famille monoparentale).

Pourquoi ne pas créer un groupe de travail mandaté pour explorer des solutions hors pistes de type intergénérationnel et écohabitat? Ce comité tiendrait avantageusement compte de la hausse galopante du coût de la vie, de l’accélération du vieillissement démographique, de l’augmentation du nombre d’aînés éprouvant des difficultés économiques et de l’épineuse problématique de l’esseulement.

C’est à la condition d’adopter et de propager une philosophie nouvelle du vivre ensemble, conjuguée à une stratégie novatrice du développement social s’inspirant de valeurs humanistes et communautaires, que l’on peut véritablement revendiquer le statut de ville amie des aînés.

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9 avril 2011 6 09 /04 /avril /2011 08:39

Richard Lefrançois, La Tribune, samedi le 9 avril 2011

vote

Fait inédit dans les annales électorales fédérales, les Canadiens sont conviés aux urnes pour la quatrième fois en moins de huit ans. Pour l’heure, même si les récents sondages prédisent la victoire des conservateurs, les dés ne sont pas encore jetés. Plusieurs événements peuvent encore brouiller les cartes et infléchir les intentions de vote de l’électorat.

Pensons à la performance des chefs aux débats télévisés, à de possibles faux pas ou révélations fracassantes, à des promesses alléchantes ou tactiques, à des surprises dans les sondages et aux appréciations des reporters, blogueurs ou élus provinciaux et municipaux. Qui plus est, une multitude de sujets sensibles émaillent toujours le paysage politique, dont la situation économique, l’environnement, les infrastructures, l’éthique, la justice, les dépenses militaires, le maintien du registre des armes à feu et notre mission en Afghanistan et en Lybie.

À constater la fréquence des discours et l’éventail des promesses s’adressant aux aînés, on peut d’ores et déjà affirmer que ce segment de l’électorat constitue un enjeu clé dans cette campagne. Si les aînés occupent le centre de l’échiquier politique, c’est en vertu de leur poids électoral, de l’efficacité de leur lobby, mais aussi parce que leur capacité financière s’est réduite comme peau de chagrin.

La puissance électorale des aînés

Les aînés, qui représentent déjà 15% des 34,3 millions de Canadiens, sont proportionnellement plus nombreux encore à être inscrits sur les listes électorales, soit 18%. Mais c’est surtout le vote massif des aînés qui peut faire toute la différence. Aux élections fédérales en 2008, 75% des 65 ans et plus ont déclaré avoir voté, alors que seulement 47% des 25-30 ans et 37% des 18-24 ans affirment s’être présentés derrière l’isoloir. Conjugués au «déficit démocratique» des jeunes, le vieillissement de l’électorat et la sur-représentation des aînés lors du scrutin devraient donc avoir une incidence considérable sur les résultats du 2 mai prochain. Les partis politiques le savent pertinemment. C’est pourquoi ils déploient le maximum d’effort pour séduire le vote gris, espérant que cette clientèle fera pencher la balance en leur faveur.

Conscientes d’un tel déséquilibre des forces électorales, mais aussi des dommages démocratiques de l’actuelle désertion électorale (seulement 58,8% des Canadiens ont voté en 2008), les associations pour aînés ont beau jeu d’intensifier leur lobby pour faire valoir leurs revendications. Il n’y a pas si longtemps, elles ont obtenu une bonification du fractionnement des revenus de retraite chez les couples, le passage à 71 ans de l'âge maximal pour convertir les régimes enregistrés d'épargne-retraite, la construction de logements sociaux pour aînés et, récemment, un investissement de 10 millions d’ici deux ans dans le cadre du programme Nouveaux horizons.

Souhaitant une majoration du Supplément du revenu garanti (SRG) pour les aînés peu fortunés, l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic a exercé des pressions qui ont porté fruit. Les partis proposent désormais des solutions pour redresser cette situation. S’il est élu, le gouvernement Harper bonifiera le SRG jusqu’à concurrence de 600$ annuellement pour les gens vivant seuls et de 840$ pour les couples. À quelques écarts près, les libéraux et le NPD formulent le même engagement, sauf que les néodémocrates inscriront automatiquement les prestataires aux deux régimes et hausseront à 36 mois la rétroactivité. Les bloquistes, de leur côté, réclament le remboursement intégral des sommes dues.

Principales promesses touchant les aînés

Depuis le début de la campagne, les néoconservateurs sont particulièrement proactifs dans l’espoir d’attirer le vote des aînés. Ils s’engagent à doubler progressivement le montant des prestations de retraite, d’ouvrir des places aux «médecins de la prochaine génération» en formant 1 200 nouveaux médecins de famille d’ici 10 ans. D’autres initiatives du NPD pourraient délester le fardeau financier des aînés. Ainsi, pour freiner l’endettement des ménages, un plafond serait fixé sur les taux d’intérêt des cartes de crédit ne dépassant pas de 5 points de pourcentage le taux préférentiel. Une autre mesure est l’annulation de la TPS sur le chauffage résidentiel et des prêts de rénovation pour les maisons multigénérationnelles.

Les requêtes du NPD précédant le dépôt du budget Flaherty ont été partiellement exaucées puisque les conservateurs s’engagent à annuler, pour un montant maximal de 40 000$, les prêts accordés aux médecins qui acceptent de s’installer en région, et de 20 000 $ dans le cas des infirmières. Les conservateurs s’engagent aussi à prolonger de deux ans le programme Initiative ciblée pour les travailleurs âgés favorisant le retour à l’emploi.

Cette même formation politique consentirait aux aidants familiaux des crédits d’impôt de l’ordre de 2 000$, ce qui représente environ 300$ annuellement. Or les aidants à très faibles revenus n’en profiteront pas puisque déjà ils ne paient pas d’impôt!

Pour tous les aidants, les libéraux préconisent plutôt une prestation fiscale au montant de 1 350$. Viendrait s’ajouter un «congé de compassion» de 6 mois pour ceux occupant un emploi, ce qui leur permettrait de consacrer plus de temps au soutien d’un proche. Sachant que les trois quarts des Canadiens ne cotisent pas à un régime de pension agréé, ils mettraient sur pied «l’Option de retraite sure», un programme de cotisation supplémentaire volontaire au Régime de pensions du Canada pour inciter les ménages à économiser en vue de leurs vieux jours.

Lorsqu’on les examine attentivement, certaines mesures s’adressant aux aînés ne pèseraient pas lourd dans la poche des aînés ou des aidants. D’autres sont conditionnelles au retour à l’équilibre budgétaire, tandis que les plus généreuses ont visiblement peu de chance d’être tenues.

Des priorités à mettre en valeur

Pour mettre en perspective cette myriade de promesses, rappelons que notre déficit oscillera autour de 30 milliards cette année, portant la dette à un sommet historique de 586 milliards. Malgré cette dure réalité qui commande un redressement à moyen terme, nous pensons qu’un gouvernement responsable doit d’abord prêter secours aux personnes immédiatement dans le besoin, dont celles sévèrement frappées par la récente récession. Ce devoir a préséance sur le remboursement accéléré de la dette, les avantages concédés au monde des affaires, certains engagements internationaux et surtout la course frénétique au pouvoir et au «rendement électoral». En vertu de ce principe au fondement de l’État-providence, et dans le contexte des finances publiques actuelles, les baisses d’impôt accordées aux entreprises, la construction de prisons et l’achat de matériel militaire à la hauteur de dizaines de milliards de dollars sont totalement inadmissibles.

En définitive, il nous appartient de porter au pouvoir une équipe compétente, aguerrie et dynamique, vouée à la bonne gouvernance de nos affaires publiques. Mais il est aussi de notre responsabilité d’élire une formation soucieuse d’équité et de solidarité, et par-dessus tout respectueuse de nos valeurs démocratiques.

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 12:48

Par Richard Lefrançois, La Tribune, 12 mars 2011

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Pourquoi consommons-nous tant d’antidépresseurs? Voilà une question contentieuse à l’origine de nombreuses croyances et qui continue de faire couler beaucoup d’encre. Le débat a resurgi depuis qu’ont été rendues publiques des statistiques ahurissantes : 13 millions d’ordonnances d’antidépresseurs ont été remplies au Québec l’an dernier. Un Québécois sur sept consomme ces médicaments, dont la moitié a 60 ans ou plus.

Se hissant au premier rang des médicaments prescrits, les antidépresseurs ont bondi en moins d’une décennie, doublant le volume des remboursements par la RAMQ. Bien que cette maladie gagne du terrain, on soutient qu’elle est sous-diagnostiquée et sous-traitée! L’Organisation mondiale de la santé prédit que d’ici dix ans elle deviendra la seconde cause d'incapacité dans le monde développé, après les troubles cardiovasculaires.

Au vu de ces chiffres aussi astronomiques que préoccupants, faut-il conclure à une crise endémique de santé publique ou sommes-nous en présence d’un phénomène propre aux sociétés de consommation ?

Nos pratiques médicales sur le banc des accusés

L’argumentaire rendant compte de cette inflation des diagnostics et de la hausse exponentielle des coûts est convaincant. D’abord, un réquisitoire s’est dressé contre l’industrie pharmaceutique à qui on reproche de mousser outrageusement l’usage des antidépresseurs. Bien sûr, le lobby qu’elle exerce après des médecins sert avant tout à satisfaire l’appétit de ses actionnaires plutôt qu’à prêter main-forte à un système de santé submergé.

L’organisation des services de santé est à son tour blâmée d’emprunter la voie facile et expéditive de la médication. Pourtant, le recours systématique à l’anamnèse des patients, dont les antécédents familiaux, l’histoire médicale et la capacité de résilience, lui permettrait d’être plus efficace, au même titre que la promotion de saines habitudes de vie.

Par ailleurs, un article paru dans la prestigieuse revue médicale Lancet note que trop de symptômes de la vie courante sont assimilés à la maladie psychiatrique. Il est en effet malaisé de tracer la frontière entre les désordres psychotiques et le cortège impressionnant des plaintes somatiques. Conséquemment, de moins en moins de troubles anxieux, de «déprime» occasionnelle ou de détresse psychologique échappent au diagnostic de dépression légère.

On administre des antidépresseurs contre l’ennui, la solitude, l’anorexie, la douleur chronique, la perte de l’estime de soi, le syndrome prémenstruel, sans oublier les troubles de l’humeur, de l’appétit, du sommeil et de l’attention. Certes, plusieurs symptômes doivent être observés concomitamment avant qu’un diagnostic de dépression soit rendu. Mais il est facile d’obéir à cette règle, somme toute peu restrictive, vu l’interdépendance de ces différents symptômes.

L’affluence des clientèles dans le cabinet des omnipraticiens engendre un effet multiplicateur indéniable sur la consommation. Ceux-ci reçoivent en première ligne près de la moitié des patients traités et prescrivent jusqu’à 70% de tous les antidépresseurs.

Il faut dire que l’étendue et l’efficacité des nouveaux outils thérapeutiques dont dispose le médecin jouent en faveur de cette surconsommation. En effet, les médicaments de la nouvelle génération des antidépresseurs (Zoloft , Prozac, Paxil, Effexor,…) sont administrés plus librement parce qu’ils comportent moins d’effets secondaires et que leur action est mieux ciblée.

La désinstitutionnalisation des personnes atteintes de maladie mentale, la non-gratuité et l’absence de réglementation des services de psychothérapie ne font qu’empirer les choses. Pendant ce temps, notre système de santé publique demeure insuffisamment approvisionné pour faire face à cette problématique.

Heureusement qu’existent des ressources alternatives, entre autres la psychothérapie, les groupes d'entraide, les centres d’écoute et de crise et les groupes de suivi communautaire. Signalons également que certains produits ont montré leur efficacité contre la dépression, dont le millepertuis, les omégas 3 et l’acide folique.

Cela dit, en cette époque où prédominent l’autonomie, la performance et l’optimisme, la dépression est souvent perçue comme un handicap honteux. Chacun tente désespérément de préserver son intégrité en affichant des attributs valorisés tels que la sociabilité, la maîtrise de ses émotions et la bonne humeur. Tout inconfort invalidant, toute épreuve susceptible d’altérer l’image positive de soi réclame une médication sur le champ.

Pour ragaillardir ou soulager le mal à l’âme, le comprimé a la cote puisqu’il apporte une réponse immédiate contrairement aux longues sessions en psychothérapie. Par son laxisme bienveillant et complaisant, la société tout entière, à commencer par l’appareil biomédical et les compagnies pharmaceutiques, est responsable de cette intoxication collective. Mais en reconnaissant aux antidépresseurs un pouvoir incantatoire, nous devenons tous complices d’une immense abdication.

La démocratisation du mal de vivre

Au fil des ans, notre société s’est transformée en un gigantesque chantier dédié à la traque de la maladie mentale. Des structures ont vu le jour pour nous éclairer sur les moyens d’améliorer nos interventions, comme le nouvel Institut national d’excellence en santé et en services sociaux et le Centre du médicament.

Depuis que sévit presque partout la souffrance psychique, des services de consultation psychologiques se sont déployés, en plus des ressources psychiatriques ou médicales existantes. Ils ont pignon sur rue dans les cliniques et centres hospitaliers, les écoles et universités, sans oublier les milieux sportifs et du travail.

Dans l’état actuel des choses, l’utilité de toutes ces ressources est indéniable. Sauf que leur prolifération nous interpelle, jusqu’à préoccuper plusieurs cliniciens. Ainsi, deux psychiatres américains, Horwitz et Wakefield, tirent la sonnette d’alarme dans un essai au titre évocateur : «La perte de la tristesse. Comment la psychiatrie a transformé la mélancolie en trouble dépressif (traduction)».

Ce qui signifie qu’à force d’engourdir, la médication musèle notre capacité de décider par nous même. Elle nous prive du même coup de l’apprentissage de la maturité et des expériences psychologiques que nous font vivre les épreuves de l’existence, la vieillesse, les deuils, les échecs ou les déceptions. La tristesse s’avère même un antidote naturel à nos difficultés. Et c’est cet antidote que les antidépresseurs neutralisent!

Il y a un siècle, le chirurgien Leriche définissait la santé comme « la vie dans le silence des organes». Faut-il maintenant décréter que la santé mentale est la vie dans le silence des émotions? Certainement pas, car ces émotions incommodantes se manifestent à nous telle une requête pour nous ramener à l’ordre.

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 02:59

Richard Lefrançois

La Tribune, samedi le 12 février 2011

Les légendes sur la Saint Valentin titillent toujours la curiosité, à commencer par les récits sur ses origines, sur ses coutumes et ses icônes emblématiques tels la rose pourpre, les pendentifs en cœur ou le Cupidon ailé. Selon toute vraisemblance, cette fête tire sa source dans la Rome Antique qui commémorait l’amour, à l’approche du printemps, en l’honneur de Lupercus le dieu de la fécondité.

Les célébrations de l’amour ont pris leur envol, semble-t-il, au Moyen Âge lorsque Saint Valentin fut décrété patron des amoureux en 1496 sur la décision du pape Alexandre VI. À l’époque dominait l’amour courtois conformément au code chevaleresque. Les «valentines» étaient des messages d’amour adressés par de jeunes prétendants ou des lettres d’amitié que s'échangeaient les nobles.

Au fil des ans, les rituels du 14 février ont été travestis sous l’emprise de l’idéologie marchande. Désormais, les étalages des boutiques foisonnent d’idées cadeaux irrésistibles censées charmer sa dulcinée, tandis que la toile regorge de sites proposant horoscopes, tests de compatibilité et thermomètres d’amour. De leur côté, les restaurateurs s’affairent à élaborer d’alléchants menus pour les incontournables rendez-vous culinaires des tourtereaux.

Pour la plupart des couples actuels ou en devenir, la Saint Valentin demeure l’occasion par excellence de réaffirmer leur amour réciproque. Il est certes envoûtant de s’imprégner de son ambiance romantique et festive qui ensorcelle en répandant dans l’air ses parfums et saveurs aphrodisiaques de champagne, de rose ou de chocolat. Mais encore faut-il cultiver cet amour et faire briller à longueur d’année la flamme de la passion!

Peu accessible aux moins fortunés, ignorée par bien des célibataires québécois ─ qui représentent le tiers de la population ─ et décriée pour son caractère excessivement commercial, cette tradition pluriséculaire est loin de faire l’unanimité. Elle passe souvent inaperçue chez les couples fragiles confrontés à des difficultés conjugales, familiales ou financières. C’est pourtant dans l’adversité que cette exigence de bonheur et d’épanouissement a besoin d’être restaurée.

L’épaisse cuirasse des préjugés

Ayant basculé dans le jeunisme, nos sociétés modernes ont tendance à reléguer au rang de tabou la vie sentimentale et l’identité amoureuse des personnes aînées. Un préjugé tenace veut que dès la cinquantaine l’intérêt pour la sexualité périclite au rythme du déclin des capacités. Or une étude de l’Université de Chicago invalide totalement cette croyance : 75 % des participants âgés de 57 à 64 ans ont des relations intimes plus d’une fois par mois. À 70 ans, six femmes et sept hommes sur dix ont des rapports sexuels régulièrement.

Cela dit, est-il besoin de rappeler que l’amour ne tient pas uniquement à la sexualité? La tendresse, l’écoute et le soutien mutuel revêtent une importance primordiale chez les seniors. Loin d’être désabusés, les couples âgés seraient plus heureux en amour, compris au sens large, que la moyenne des gens. Selon le spécialiste Gilles Trudel, l’âge d’or constituerait même une période privilégiée pour entamer une seconde lune de miel!

Cependant, le fait de se côtoyer quotidiennement, une fois à la retraite, peut exacerber des problématiques non résolues que le travail ou les responsabilités familiales refoulaient. Cette particularité mise à part, l’expérience de vivre à deux ouvre des horizons propices à la promiscuité et à une intense complicité. Aguerris, conscients de pouvoir profiter de belles années et libérés des contraintes attachées au travail et aux charges parentales, la plupart des couples retraités prennent plaisir à concevoir des projets de loisir, de voyage ou d’engagement social. Le simple fait d’échafauder des plans communs agit comme un liant venant renforcer leur union.

La maladie d’amour

Les rencontres galantes dans la vieillesse sont devenues courantes, d’autant que la solitude est vécue plus péniblement que jamais. Plutôt que de se morfondre ou de se replier sur elles-mêmes, des personnes veuves, surtout des hommes, essaient parfois désespérément de dénicher l’âme sœur. Plus étonnant encore, 6 % des Québécois de plus de 70 ans se séparent pour un nouveau coup de cœur!

Néanmoins, la maladie d’amour renferme son versant sombre : vivre seul ou le cœur brisé augmente la probabilité de morbidité et de mortalité précoces. Succombant à l’ennui, à une carence affective ou à une peine d’amour, des individus décèdent à la suite d’une pathologie soudaine, voire se suicident. Les personnes veuves sont même 40 % plus à risque de s'éteindre dans les six mois qui suivent la disparition de l’être cher.

La vie maritale s’avère donc une stratégie idéale pour faire vieux os. Des dizaines de travaux scientifiques ont attesté ses effets bénéfiques. Profitant d’un bien-être physique, mental et émotionnel accru et d’un soutien mutuel, les couples âgés sont davantage à l’abri des maladies ou incapacités et des actes de violence. De surcroît, ils bénéficient d’un réseau social plus vaste et diversifié que ceux vivant en solo.

L’égoïsme n’a pas liquidé l’altruisme

Les ressorts de l’amour ne sont pas uniquement érotiques, conjugaux, filiaux ou amicaux. S’illustrent également ceux de la compassion et de la solidarité. En témoigne l’amour philanthropique, celui des bénévoles, donateurs et travailleurs humanitaires. Le philosophe Luc Ferry y voit les contours d’un humanisme et d’une spiritualité laïque en émergence.

Sans conteste, l’amour figure parmi ces sentiments qui ne connaissent pas de frontière. D’où l’importance de se préoccuper de l’affectivité des personnes aînées esseulées ou isolées. L’ouverture d’esprit, l’encouragement et le soutien des proches sont à cet égard des attitudes de première importance. Des initiatives comme le speed-dating senior, les sites de rencontre sur internet et les repas conviviaux en maison d’hébergement favorisent à leur manière la formation de nouvelles relations, en plus de combattre la solitude.

Bref, quelles que soient leurs situations, préférences ou capacités physiques au regard des liaisons amoureuses, les aînés méritent notre respect, notre appui et notre considération. Déboulonner les nombreux mythes entourant la vie sentimentale des aînés devient dès lors une nécessité pressante. Nous pouvons bien sûr tirer profit de connaissances enrichies sur la dynamique de l’amour et ses trajectoires au crépuscule de la vie, considérant que s’améliorent nos propres chances de vieillir plus tard et plus longtemps.

Après mûre réflexion, Cupidon recèle plus d’une flèche dans son carquois. Évitons donc de le contrarier en le laissant exercer librement son métier de tisserand de l’amour!

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12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 16:27

Publié initialement sur Vigile sous le titre:  La générosité : un incontournable dans un Québec indépendant et solidaire

http://www.vigile.net/La-generosite-un-incontournable

Richard Lefrançois, 12 décembre 2010

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Nos aînés gardent habituellement un souvenir nostalgique des traditions qui jadis remplissaient la période des fêtes : la messe de minuit précédant le déballage des cadeaux, les échanges de cartes de vœux, la crèche de Noël, les réceptions festives se prolongeant jusqu’aux petites heures matinales, dans une ambiance conviviale de danse et de musique folkloriques.

Au fil des ans, certaines coutumes quasi séculaires ont perdu de leur éclat. D’autres se sont carrément volatilisées, relayées par l’idéologie commerciale et remplacées par les nouvelles mœurs de la modernité. Le temps des fêtes se résume de nos jours à des boustifailles entre proches et amis, à des soirées de bureau bien arrosées et à des orgies de cadeaux. Pour certains, il s’agit d’un congé comme les autres qui permet de s’évader vers des destinations ensoleillées.

Or le phénomène qui retient ici mon attention a trait à une autre pratique en vogue qui atteint son apogée en cette période préhivernale : celle de la générosité et du bénévolat. Elle découle essentiellement de la prolifération phénoménale des demandes en biens essentiels de la part des plus démunis. Au Québec, 310 000 demandes de paniers de provisions ont été effectuées l’an dernier, un nombre record. Par comparaison, on a enregistré 868 000 demandes au Canada la même année.

La période des fêtes sous le signe du partage

On comprend donc qu’à l’approche du long congé des fêtes, le milieu caritatif vit d’intenses moments d’effervescence. Des efforts titanesques sont déployés pour recruter l’armée des bénévoles dont les organismes communautaires ont besoin pour satisfaire les besoins criants des laissés-pour-compte.

Ils sont sollicités tous azimuts pour recueillir les dons du public, en espèce, vêtements ou denrées alimentaires, pour organiser le souper de Noël des sans-abri, pour rendre visite aux malades, pour divertir les personnes âgées esseulées et pour agir comme accompagnateur dans le cadre de l’Opération Nez rouge.

Heureusement, les Québécois sont foncièrement généreux, davantage par compassion et solidarité que pour soulager leur conscience à l’égard de la misère. Leur altruisme légendaire ne se dément pas, en dépit d’un léger recul des contributions attribuable à la lenteur de la reprise économique. Ils demeurent fidèles au rendez-vous des grandes campagnes de collecte de fonds, comme donateur ou bénévole.

Tous mettent donc la main à la pâte à l’occasion de cette célébration du partage, y compris le milieu des affaires qui parraine des organismes tels que Banques alimentaires Québec, Moisson et la Grande guignolée des médias (124 000 $ ont été récoltés à Sherbrooke le 2 décembre dernier).

Le réflexe solidaire : un gage d’avenir dans un Québec indépendant

Voilà qui est de bon augure pour l’avenir. Cette solidarité citoyenne s’inscrit parfaitement dans la perspective de la construction d’un nouveau projet de société. Car pour répondre à nos aspirations, le Québec de l’avenir aura pour tâche d’articuler les finalités politiques aux finalités sociales. Ce qui signifie qu’une fois son identité conquise, une fois sa langue affirmée et protégée, une fois son destin économique maîtrisé, un Québec indépendant, égalitaire et progressiste devra assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, veiller à l’inclusion de tous ses membres et à l’éradication de la pauvreté.

L’extraordinaire mouvance de solidarité citoyenne à laquelle nous assistons actuellement est donc fort précieuse, car en plus de cimenter nos liens et de favoriser l’intégration des plus défavorisés, elle indique la voie à suivre. Le réflexe est donc acquis : au lieu d’abandonner les plus démunis dans le labyrinthe de l’exclusion sociale, on leur tend la main.

Travailler au Québec n’est plus un antidote à la pauvreté

Pourquoi ce formidable appui du public à l’endroit des personnes défavorisées est-il devenu à ce point incontournable ? D’une part, parce que l’État s’est partiellement désengagé de sa mission première de pourvoyeur. Il semble à bout de souffle, à court de ressources, en panne d’action, évaluant mal ses priorités et tenant peu ses promesses.

D’autre part, parce que la fraction du revenu des ménages consacrée aux besoins essentiels poursuit son ascension. On sait pourquoi. Même si le taux de chômage s’est stabilisé au sortir du creux de la récession, on ne compte plus les travailleurs précaires, sous-rémunérés, à temps partiel ou qui se sont enlisés dans l’endettement. Une nouvelle pauvreté a surgi depuis que le rouleau compresseur de la crise économique a cessé d’épargner la classe moyenne. Parmi ceux occupant un emploi, 10 % sont des utilisateurs de banques alimentaires, tandis que 6,5 % sont propriétaires d'une résidence!

Voilà sans doute qui explique pourquoi la clientèle du dépannage alimentaire a augmenté de 38 % au Québec en deux ans. Et uniquement à Montréal, la demande de sacs de provisions a connu une hausse de 64% depuis un an! On assiste même à l’explosion du nombre de bénéficiaires au sein de la population âgée que l’on croyait pourtant à l’abri des intempéries de l’économie.

S’agissant de la grande région de l’Estrie, point étonnant si l’argent et les biens amassés ne suffisent plus à combler les besoins de Moisson-Estrie, de la Fondation Rock Guertin et des banques alimentaires.

Sortir du gouffre de l’appauvrissement

Sans verser dans l’alarmisme, force est d’admettre que la misère sévit presque partout et à longueur d'année, dans une société pourtant développée. Elle touche sans distinction les enfants, les adultes et les personnes âgées. À force d’étendre ses tentacules, la tragédie de la pauvreté menace de précipiter toute la collectivité québécoise dans un abîme.

Sans mettre en doute la nécessité de l’intervention caritative, il faut se rendre à l’évidence et reconnaître qu’elle frise les limites de son efficacité. Dès lors, le temps n’est-il pas venu d’envisager des solutions plus musclées, audacieuses et courageuses, capables d’enrayer ou d’atténuer ce fléau endémique qu’est la pauvreté ?

Voici quelques pistes à explorer pour amorcer le débat. 1. La création d’un Observatoire sur la précarisation et l’exclusion sociale pour traquer l’évolution de la pauvreté et repérer les groupes à risque. 2. La tenue d’États généraux sur l’accès aux droits fondamentaux en vue d’explorer des stratégies novatrices aptes à prévenir et combattre la pauvreté. 3. L’instauration d’un Fonds national de la solidarité pour secourir les plus démunis et soutenir des projets d’intervention communautaire. Son financement pourrait être assuré à partir des bénéfices nets de Loto Québec (1,36 $ milliard) et de la SAQ (867 $ millions). Un prélèvement combiné de 20 % dégagerait une somme de 450 $ millions à injecter dans un tel fonds. 4. Une tarification allégée de l’électricité au profit des plus démunis (au lieu d’appliquer la politique actuelle du harcèlement envers ceux dont le compte est en souffrance).

Finalement, comme notre compréhension de la pauvreté demeure statique et parcellaire, je suggère une cinquième mesure, soit la mise en chantier d’une vaste étude longitudinale pour examiner notamment les facteurs d’entrée et de sortie de l’indigence économique, son mode de transmission et ses impacts sur la famille et la santé.

Comme on peut le constater, pendant la période des fêtes les occasions ne manquent pas de nous mettre à table!

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14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 14:54

Richard Lefrançois, La Tribune, 13 novembre 2010

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Dans la tradition chrétienne, novembre est la période pour renouer avec ses proches disparus en vénérant leur mémoire. C'est ainsi qu'au lendemain de la Toussaint, l'Église catholique célèbre des messes solennelles en commémoration des fidèles défunts.

Un peu plus tôt, le 31 octobre, l'Halloween nous parle à sa manière de la mort avec ses déguisements fantomatiques et ses terrains jonchés d'objets macabres. Bien sûr, si cette fête folklorique exalte les Québécois, c'est davantage pour festoyer que pour se recueillir.

Cependant, que signifie cette rencontre du païen et du religieux autour du besoin d'évocation des morts? Malgré cette préférence contemporaine pour les valeurs profanes, se pourrait-il que nous entretenions toujours un rapport au sacré? C'est ce qui semble inspirer nos us et coutumes à l'égard des personnes mourantes et des défunts.

De l'acharnement thérapeutique à l'euthanasie

Cette confrontation des valeurs traditionnelles et modernes se trouve au coeur du débat sur la fin de vie. Rappelons que l'euthanasie, y compris le suicide assisté, vise à provoquer le décès au stade avancé d'une maladie incurable, lorsqu'il y a consentement et que toute possibilité de rémission est exclue. Une approche est d'omettre ou de réduire graduellement les traitements, l'autre d'augmenter progressivement la dose d'analgésiques puissants, au point où elle devient létale.

À l'autre extrême, l'acharnement thérapeutique défie carrément la mort. Suivant cette orientation pro-vie, des soins disproportionnés sont prodigués pour faire reculer l'échéance finale, même au prix d'une déchéance accrue de la personne.

Les soins palliatifs sont la zone grise, la position refuge, bien qu'elle avoisine l'euthanasie. Ils visent à diminuer la souffrance (administration d'antalgiques) et à accompagner le malade et la famille dans le respect, tout en assurant la meilleure qualité de vie, sans accélérer ni repousser la mort.

Or, la position pro-choix gagne du terrain. Les trois quarts des médecins spécialistes cautionnent la pratique de l'euthanasie, tandis qu'elle reçoit l'aval de la population qui perçoit bien la contradiction entre son interdit et sa banalisation effective. Un récent sondage Léger Marketing nous apprend que 71 % des Québécois favorisent sa légalisation.

Cette adhésion massive est révélatrice du changement de mentalité drastique reflétant les valeurs de liberté de choix et d'autonomie. En effet, les jeunes générations, voire les baby-boomers, sont bien informées et converties aux principes de vie promus par l'éthique moderne. Pour abréger leurs souffrances et préserver leur qualité de vie dans le respect et la dignité, elles n'hésiteront pas à renoncer aux traitements jugés inutiles et déshumanisants, même au risque de précipiter l'issue fatale.

Aussi, craignant le déracinement et l'abandon, elles espèrent vivre leurs derniers jours dans la chaleur réconfortante de leur domicile et auprès de leurs proches (55 % selon le sondage Léger Marketing), plutôt que dans la froideur du milieu "in-hospitalier" (25 %).

Du mausolée à l’urne

Les cérémonies mortuaires illustrent aussi la désacralisation progressive des rituels et le désir accru de contrôle exprimés par les familles éprouvées. Les arrangements funéraires préalables et l'acquiescement à léguer son corps à la science en témoignent. Au salon funéraire, le cadre religieux et les protocoles imposés par les entreprises chargées des obsèques sont mis à distance. La présence du prêtre se fait donc plus discrète, son rôle étant partiellement relayé par la famille du défunt.

La mode actuelle commande que l'exposition de la dépouille soit minimale (la mort se cache!) et que la cérémonie mortuaire soit personnalisée. En font foi les hommages rendus par des amis ou des membres de la famille, les présentations visuelles comme les diaporamas ou les vidéos qui rappellent des moments clés de la vie de la personne décédée, ou l'étalage d'objets qui lui étaient chers.

Habituellement les familles du défunt préfèrent des dons en espèces dédiés à la recherche au lieu des traditionnels arrangements floraux. Finalement, la crémation semble s'imposer aux dépens de l'enterrement.

Démystifier la mort

Notre questionnement sur la mort poursuit inlassablement son chemin. Le Québec joue même un rôle d'avant-garde en matière de réflexion éthique et sociologique sur la place de la mort dans notre culture, le recours aux techniques biomédicales dans les soins et les droits des personnes mourantes.

Le milieu intellectuel québécois enrichit constamment son expertise. L'Université du Québec à Montréal fait oeuvre de pionnier à la faveur de trois programmes de formation et de la publication de la revue Frontières, tous voués aux phénomènes reliés au deuil et à la mort. On retrouve sur la toile L'Encyclopédie sur la mort, une ramification du site Agora tenu par deux intellectuels québécois.

L'étape de la fin de vie n'intéresse pas seulement les spécialistes. Loin de rebuter, elle suscite l'attention grandissante de la population, à en juger d'après le succès qu'ont connu cet été les expositions À la vie, à la mort et DEUILS, présentées au Musée des religions du monde de Nicolet.

S'ajoute l'important débat amorcé récemment sur le mourir dans la dignité dans le cadre de la Commission spéciale sur l'euthanasie et le suicide assisté. Sa notoriété et sa popularité, authentifiées par des sondages, étonnent même les responsables qui prévoient augmenter les séances d'audience. À ce jour, 220 mémoires ont été déposés tandis que des milliers de personnes ont rempli le questionnaire en ligne.

L'ultime défi

En dépit de toutes les ressources médicales, technologiques et humaines destinées à nous accompagner et à nous apaiser à l'approche de la mort, l'idée de notre propre disparition demeure difficile à supporter. Paradoxalement, alors que la vieillesse craint la mort, la jeunesse la défie ou la provoque par la pratique des sports extrêmes ou la conduite dangereuse d'un véhicule. La mort fascine même certains groupes comme les gothiques. Décidément, cette réalité n'a pas de frontières dans l'expérience humaine!

Il n'empêche que l'évacuation du religieux occasionne une perte de sens dans les sociétés laïques. C'est ce qui expliquerait la vogue actuelle du tourisme religieux ou spirituel et l'engouement pour les nouvelles sectes. C'est aussi ce qui expliquerait l'accommodement des cultes mortuaires sacrés et profanes.

Cela dit, il faudra bien un jour s'attaquer au véritable défi: celui d'insuffler un sens au passage de vie à trépas, plutôt que de discourir sur nos actions pour prolonger la vie ou l'écourter.

Richard Lefrançois, Ph.D., est professeur associé à l'Université de Sherbrooke.

http://tribune-age.over-blog.com/

Voir aussi sur ce site : http://www.jacquelinejencquel.com/post/la-gestion-de-la-fin-de-vie-dans-le-creuset-de-la-modernite.htm

Illustration(s) :

Archives, La Tribune
"Notre questionnement sur la mort poursuit inlassablement son chemin. Le Québec joue même un rôle d'avantgarde en matière de réflexion éthique et sociologique sur la place de la mort dans notre culture, le recours aux techniques biomédicales dans les soins et les droits des personnes mourantes."

(c) 2010 La Tribune (Sherbrooke, Qc). Tous droits réservés.

Numéro de document : news·20101113·TB·0033

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10 octobre 2010 7 10 /10 /octobre /2010 10:19

La Tribune (Sherbrooke, Qc)
Opinions, samedi, 9 octobre 2010, p. 21

Lefrançois, Richard

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Deux indicateurs sociaux confirment la progression du vieillissement actif au Québec, soit le retour à l'emploi de nombreux retraités et le recul de l'âge de la retraite. Cette tendance lourde est stimulée par des mesures gouvernementales proactives et des initiatives novatrices qui rehaussent l'employabilité des travailleurs âgés.

Devenue pratiquement inaccessible à une vaste majorité, la retraite à 55 ans semble donc tomber en désuétude. La vogue Liberté 55 n'aura finalement profité qu'à une minorité de privilégiés.

En revanche, on ne dénombre plus les retraités précoces qui, regrettant leur décision d'avoir déserté le marché de l'emploi, tentent désespérément un retour. En aval, les travailleurs âgés se heurtent à la redoutable réalité économique. Ils n'ont guère d'autres choix que de prolonger leur vie active.

La retraite, telle qu'on la connaît, serait-elle en voie de disparition? Pourquoi l'engouement pour les retraites précoces s'est-il à ce point effacé? Enfin, comment justifier la réticence de certaines entreprises à s'ajuster à cette implacable réalité?

Conciliation retraite-emploi

Que ce soit pour des raisons budgétaires, pour conserver son réseau social, pour demeurer alerte mentalement, par plaisir ou pour combattre l'ennui, environ le tiers des 60 ans et plus choisissent aujourd'hui de jumeler leur revenu de retraite à celui du travail. En incluant les activités rémunérées non déclarées à l'impôt, près de la moitié des 60 à 75 ans retireraient des revenus d'un emploi.

S'agissant des retraités, un récent sondage Ipsos Reid révèle que 40 % ont réintégré le monde du travail au cours des dix années qui ont suivi la cessation d'emploi. Dans la majorité des cas, le travail autonome ou à temps partiel était privilégié.

On ne s'étonnera point de ce retournement sachant que la demande pour les travailleurs expérimentés s'accentue dans le secteur de la haute technologie, mais aussi ceux du commerce au détail, du tourisme et de l'horticulture. Pendant qu'IBM, par exemple, réembauche ses ex-employés, des entreprises comme Home Depot, McDonald's et Wal-Mart accueillent des retraités à bras ouverts.

Pendant ce temps, les programmes de stages et de parrainage fleurissent, tandis que les emplois flexibles comme ceux à temps partiel ou le télétravail se généralisent. Les organismes d'aide aux travailleurs âgés se multiplient, tels Service Accès-emploi, Pacte pour l'emploi+, puis Initiative ciblée (fédéral) et Programme de soutien (Québec). Sur la toile, un grand nombre d'organismes voués aux aînés, comme la FADOQ et l'AREQ, ont ajouté une rubrique sur leur site pour promouvoir l'embauche des aînés et le travail à domicile (p. ex., Défi travail 50 plus).

Une volte-face des personnes expérimentées ?

La dernière décennie a été le théâtre d'un cumul d'événements économiques dévastateurs qui ont détérioré les conditions de vie de nombreux retraités, actuels et futurs, et refroidi leurs aspirations. Chômage, sous-emploi et bas salaire ont été le lot des plus vulnérables. L'insuffisance du revenu et la faiblesse de l'épargne expliquent la volonté des uns de retourner sur le marché du travail, des autres de prolonger leur vie active.

Des facteurs structurels hautement destructeurs d'emploi ont induit cette fragilité: mondialisation des marchés, délocalisation des entreprises, modernisation organisationnelle et explosion des technologies. D'autres facteurs, conjoncturels cette fois, ont aggravé la situation, soit la débâcle des marchés financiers, la dégringolade boursière, la vigueur du dollar, la contre-performance des caisses de retraite et les fraudes économiques.

La récession qui a suivi a amputé le pouvoir d'achat des consommateurs et intensifié leur endettement. C'est pourquoi le tiers seulement a cotisé à un REER au cours de la dernière année, sans compter que 60 % ne possèdent toujours pas de véhicule complémentaire de retraite.

Les Québécois récoltent en ce moment un faible rendement de leurs placements, la fraction de cette source de revenus ayant fortement chuté. Ils s'aperçoivent que leurs minces économies ne suffiront pas pour subvenir à leurs besoins pendant la longue période de la retraite qui s'étire au rythme de l'élévation de l'espérance de vie. La perspective de percevoir uniquement la rente de retraite des deux paliers gouvernementaux n'est guère réjouissante, même en étant admissible au Supplément de revenu garanti et à l'Allocation au conjoint.

Des actions discordantes

On rappellera qu'afin d'inciter les 55 ans et plus à la retraite progressive, le gouvernement québécois a adopté des dispositions législatives assouplissant certaines conditions et règles d'admissibilité. La RRQ majore de 0,5 %, pour la vie, la rente de retraite des personnes demeurant à l'emploi après 65 ans. Les travailleurs de 60 à 65 ans peuvent percevoir leur rente de retraite anticipée à condition que leurs revenus d'emploi ne dépassent pas 11 800 $ ou qu'ils acceptent une réduction salariale d'au moins 20 %. Également, ceux bénéficiant d'un régime complémentaire de retraite peuvent continuer à travailler tout en retirant jusqu'à 60 % de leurs prestations.

Par opposition, une multitude d'entreprises hésite à emboiter le pas, à négocier le virage vers la main-d'oeuvre âgée. Obnubilées par la concurrence et le besoin impérieux d'innover, elles misent sur la jeunesse et sont réfractaires à intégrer dans leurs rangs les demandeurs d'emploi expérimentés, exception faite des surqualifiés. Craignant que leurs employés âgés actuels deviennent moins productifs et constituent un fardeau, elles trouvent le moyen de les pousser vers la sortie.

Comme en témoignent ces orientations divergentes de l'État et du secteur privé, une vision concertée et porteuse tarde à se manifester en matière d'emploi "senior".

Mises en garde

La concrétisation du vieillissement actif rassurera sans doute ceux qui claironnent ad nauseam qu'une grave pénurie de main-d'oeuvre est imminente. Elle plaira à ceux qui brandissent le spectre de la mise à sac des régimes de retraite imputable au surnombre des prestataires et à la paucité des cotisants. Ce n'est pourtant pas le déséquilibre démographique qui a conduit au vieillissement actif, mais bien l'actuel contexte économique particulièrement difficile.

Cela dit, ce serait rompre le pacte de la solidarité intergénérationnelle que de profiter de cette effervescence entourant l'embauche des travailleurs âgés pour traiter ces derniers de façon inéquitable, revoir à la baisse leurs prestations de retraite, écourter la période d'admissibilité et limiter l'accès des jeunes à l'emploi.

Mais une question plus fondamentale se pose. Pour paraphraser l'éthicien Hubert Doucet, souhaitons-nous que nos aînés travaillent plus longtemps ou préférons-nous bénéficier de leur sagesse et aptitude à transmettre, aider et réconforter?

Richard Lefrançois est professeur associé à l'Université de Sherbrooke.

http://tribune-age.over-blog.com/

(c) 2010 La Tribune (Sherbrooke, Qc). Tous droits réservés.

Numéro de document : news·20101009·TB·0030

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